Les campagnes juridiques sont un terrain fertile pour les imprécisions, voire les inexactitudes conscientes, des parties prenantes au débat. Alexia vulgarise pour vous les enjeux juridiques de la LMPT en votation le 13 juin prochain.
Résumé
La Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (la LMPT) s’inscrit dans les mesures gouvernementales de lutte contre le terrorisme. La menace terroriste en Suisse est jugée comme étant « élevée » par le Service de renseignement de la Confédération (le SRC). Ce n’est pas un risque à prendre à la légère, mais son appréhension ne doit jamais se faire au détriment des droits humains, comme cela fut le cas des Etats-Unis après les attentats de New York en 2001.
Exposition de la LMPT
Cette loi a pour but d’élargir les droits de la police en matière de prévention du terrorisme, en conférant à cette autorité la possibilité de prendre les mesures suivantes :
- L’obligation de participer à des entretiens
- L’interdiction de contact
- L’interdiction de quitter le territoire
- L’obligation de se présenter
- L’interdiction géographique
- L’assignation à résidence
- et la détention en vue de l’expulsion
Une loi inutile
Le gouvernement argue que les mesures actuelles à la disposition de la police sont insuffisantes face à la menace terroriste, qui ne pourrait agir avant qu’une infraction ait été commise. Cet argument est toutefois entièrement démenti par la jurisprudence passée du Tribunal pénal fédéral. En effet, ont été condamnés, sur la base des art. 260ter du Code pénal et 2 al. 1 de la Loi fédérale interdisant les groupes « Al-Qaïda » et « Etat islamique », les actes suivants :
- le fait d’entrer en contact avec des membres d’un groupe djihadiste en Syrie et d’agir pour lui en Suisse comme activiste, coordinateur et logicien ;
- le fait de quitter la Syrie pour venir en Suisse dans l’idée de devenir actif pour le groupe en Europe ;
- de modérer un groupe Telegram où s’échangeait de la propagande djihadiste ;
- d’endoctriner des personnes ;
- d’encourager quelqu’un à commettre un attentat-suicide ;
- de publier sur un site internet des vidéos de massacres ;
- de publier sur Facebook de la propagandes pour l’EI ;
- le fait d’envoyer 3 photos de propagande à une personne sur WhatsApp ;
- et même le fait de simplement posséder des sermons de leaders et des exécutions de l’EI sur un disque dur ou sur son téléphone et d’en avoir transféré une partie à un autre ordinateur, avec condamnation à une peine de prison avec sursis !
Comme le montre ces cas réels, contrairement à ce qu’avance le gouvernement suisse, une condamnation peut intervenir bien avant la commission d’un acte terroriste à proprement dit.
Se pose encore la question de savoir si, quand une personne est soupçonnée d’avoir agi ainsi, la police peut prendre des mesures à son égard avant qu’elle ne soit condamnée, notamment pour s’assurer qu’elle ne commettra pas un acte terroriste. Selon une analyse de deux doctorants en droit de l’Unil1, sur tous les cas de terrorisme parvenus au Tribunal pénal fédéral de 2004 à 2020, 20/29 personnes ont été détenues à titre provisoire, la durée moyenne de la détention étant de 11 mois (médiane à 9.5 mois) avec un cas de détention allant jusqu’à 3 ans et 5 mois. Et à l’encontre des personnes relâchées ou non-détenues avant jugement, des mesures de substitution ont pu leur être imposées, telles que la saisie des documents d’identité, l’obligation de se présenter à la police, l’obligation de se soumettre à son contrôle allant jusqu’à l’accès en tout temps au logement, au véhicule et aux ressources informatiques de cette personne… soit les mêmes mesures que celles proposées par la LMPT.
Une loi anti-démocratique
La loi est inutile sur le plan de la lutte contre le terrorisme puisque toutes les mesures qu’elle prévoit peuvent déjà être prises aujourd’hui. Elle va néanmoins plus loin que le système actuel en donnant davantage de droit à la police et en supprimant les barrières du droit pénal et des garanties fondamentales, telles que :
- la présomption d’innocence,
- la clarté des comportements réprimés et
- la prononciation de mesures de contrainte par une autorité judiciaire et non par la police ou une autorité administrative.
Ces garanties sont balayées par le fait que la LMPT relève du droit administratif et non du droit pénal. La LMPT permet ainsi à la police de prendre des mesures de contrainte sur la base d’un risque abstrait de commission d’une infraction (ce qui s’appelle la présomption de dangerosité). En outre, les mesures sont immédiatement exécutoires, sans contrôle judiciaire a priori – excepté l’assignation à domicile – quand bien même Fedpol ne répond pas aux exigences de respect des droits fondamentaux. C’est une simple question de séparation des pouvoirs : ce n’est pas celui qui souhaite instaurer une mesure qui juge de sa conformité avec les droits humains.
Afin de dénoncer une atteinte à notre démocratie par la LMPT, 60 professeurs des universités suisses et l’ordre des avocats genevois se positionnent contre cette loi.
Une loi arbitraire
Cette loi pose en outre un immense problème de par sa définition du terrorisme contenue à l‘art. 23e al. 2 LMPT : « par activités terroristes, on entend les actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptible d’être réalisées ou favorisées par des infractions graves ou la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte ».
Il existe un principe fondamental en droit pénal, selon lequel on ne peut être puni que si notre comportement est clairement érigé en infraction. Or, la LMPT prévoit une définition toute à fait floue des comportements pouvant déclencher son application.
Avec une définition aussi large, des formes d’activisme politique pourraient être considérées comme du terrorisme.
1AJIL A. / LUBISHTANI K., Le terrorisme djihadiste devant le Tribunal pénal fédéral : Analyse des procédures pénales de 2004 à 2020, in Jusletter, 31 mai 2021
Sources
- AJIL A. / LUBISHTANI K., Le terrorisme djihadiste devant le Tribunal pénal fédéral : Analyse des procédures pénales de 2004 à 2020, in Jusletter, 31 mai 2021 ;
- BIELMAN F., Combattants terroristes étrangers : analyse des motivations individuelles des djihadistes de Suisse, Mémoire de Master présenté à l’Université de Genève, dirigé par le Prof. Dr. Frédéric Esposito ;
- Lettre ouverte des expert∙e∙s universitaires en droit, disponible sous https://www.amnesty.ch/fr/pays/europe… ;
- Position de l’Ordre des avocats genevois, disponible sous https://www.odage.ch/medias/documents…