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Comment accéder au TF ? (Spoiler : pas comme ça)

Le 28 novembre prochain, tou·tes aux urnes ! 🗳 Mais s’il y a bien un sujet auquel on ne comprend rien, c’est l’initiative sur la justice, qui propose de désigner les juges fédéraux par tirage au sort 🧑‍⚖️ Vulgarisation.

Afin que tu puisses te forger ta propre opinion en vue de la votation du 28 novembre prochain, Alexia te vulgarise l’ensemble des enjeux entourant l’initiative sur la justice, qui n’est de loin pas simple à comprendre !

Résumé

Chapitres

  • Le système actuel
  • Le système proposé par l’initiative
  • Critique du système actuel
  • Solutions – et autres difficultés – apportées par l’initiative
  • Conclusion

Le système actuel

Actuellement, l’élection des juges fédéraux, pour une durée de six ans, est une prérogative de l’Assemblée fédérale (art. 145 et 168 de la Constitution fédérale du 8 avril 1999). Voici à peu près l’entier de ce que prévoit la Constitution à ce sujet. La majorité des règles entourant l’élection des juges fédéraux vient de la pratique.

Voici succinctement comment se déroule une élection. Les posts vacants sont mis au concours public par la Commission judiciaire qui, après l’audition des candidat·es, propose ou non leur élection à l’Assemblée fédérale. Si l’art. 143 de la Constitution requiert, pour seul critère, que les juges aient la nationalité suisse, la Commission tient compte de certains critères professionnels, comme l’expérience et la formation, personnels ou encore linguistiques. Elle veille également à une représentation équilibrée des sexes et des forces politiques. Ce dernier point a un poids considérable puisqu’aucun candidat non partisan n’a été élu depuis 1943.

Autre particularité, une fois élu·es, les juges rétrocèdent une partie de leur salaire au parti politique auquel ils et elles sont affilié·es. La quotité de la rétrocession varie selon les partis, allant de Fr. 200’000.- pour le PS à Fr. 30’000.- pour les Verts Libéraux – précisons que l’UDC, fidèle à son amour de la transparence, a refusé de renseigner la RTS sur sa pratique.

Enfin, tous les six ans, les juges sont soumis·ses à réélection par l’Assemblée fédérale. Il s’agit néanmoins, en pratique, d’une simple formalité puisque les juges sont systématiquement réélu·es.

Le système proposé par l’initiative fédérale

Selon l’initiative sur la justice, les juges ne seraient plus nommé·es par le parlement mais tiré·es au sort au sein d’un panel composé de personnes choisie par une commission spécialisée. Cette dernière devrait baser son choix uniquement sur des critères objectifs d’aptitude professionnelle et personnelle. Les membres de cette commission seraient nommé·es par le Conseil fédéral pour un mandat unique de 12 ans.

Autre changement important, une fois tiré·es au sort, les juges pourraient rester en fonction jusqu’à cinq ans après l’âge de la retraite. Le système de la réélection serait ainsi abandonné.

La seule compétence laissée à l’Assemblée fédérale serait la capacité de révoquer un juge qui violerait gravement ses pouvoirs ou qui perdrait durablement sa capacité d’exercer.

Critique du système actuel

Le système actuellement en vigueur implique une relation étroite entre les juges et les partis politiques, du fait que les premier·ères doivent être affilié·es aux seconds pour pouvoir accéder à la fonction de juge fédéral.

Il est généralement justifié par deux arguments principaux : la représentativité politique et la légitimité démocratique.

La représentativité politique est l’idée selon laquelle le Tribunal fédéral devrait être composé des mêmes forces politiques que l’Assemblée fédérale afin de correspondre grosso modo aux idées politiques présentes au sein de la population. Cela repose sur le postulat selon lequel les juges ne sont pas de simples bouches de la loi mais de véritables acteurs politiques, de par leur marge d’appréciation. Néanmoins, cela présuppose également que l’Assemblée fédérale reflète les idées politiques de la population. Or

  • 5 partis politiques détiennent 96 % des sièges – ce qui ne reflète pas la complexité du corps électoral -,
  • les élections ne mobilisent que 45 % des personnes ayant le droit de vote – qui ne représentent elles-mêmes que 40 % de la population vivant en Suisse -,
  • 6 partis politiques présents à Berne n’ont aucun juge leur étant affilié au Tribunal fédéral, et
  • les compositions du Tribunal fédéral et du Parlement diffèrent passablement : l’UDC détient 24 % des sièges du parlement mais 34 % des juges fédéraux, au détriment des Verts qui n’ont que 8 % des juges pour 14 % des sièges parlementaires.

S’ajoute à ces points, le fait que les juges sont systématiquement réélu·es tacitement. Par conséquent, les changements importants de forces politiques au parlement ne se font pas immédiatement sentir au Tribunal fédéral. C’est ce qui s’est passé avec la vague verte de 2019 qui n’a pas arrosé le TF.

Enfin, les juges sont influencé·es par leurs idées politiques, certes, mais aussi d’autres composantes de leur individualité, comme leur genre, leur âge, leurs origines, leur histoire personnelle, leur culture, lesquelles sont parfois bien plus à même d’influencer leur décision que la qualité de membre à un parti politique.

La légitimité démocratique est l’idée selon laquelle les juges gagnent en légitimité s’iels sont élu·es par une instance elle-même élue démocratiquement. Tout comme une élection des juges directement par la population, ce modèle a son lot de défauts. En réalité, la légitimité du juge dépend surtout de la transparence du processus de sélection. Or, le mécanisme actuel est loin de répondre à cette exigence de transparence. Les juges sont choisis dans l’ombre par les membres des comités des partis, soit par une infime portion des membres du parti, dont la légitimité démocratique est faible sinon nulle.

En cours de mandat, le principal défaut du système en vigueur réside dans la pratique de rétrocession d’une partie du salaire des juges à leur parti. Toutefois, il devrait être prochainement interdit puisqu’une initiative parlementaire a été déposée à ce sujet et que ses chances de succès sont bonnes.

Solutions – et autres difficultés – apportées par l’initiative

L’initiative répond à la plupart des défauts évoqués ci-dessus mais comporte aussi son lot d’insuffisances.

Si elle délie les juges des parties politiques, la procédure d’élection qu’elle propose est loin d’être convaincante de par le fait, principalement, que la Commission spécialisée serait nommée par le Conseil fédéral. Ce dernier est une instance hautement politisée, composée de 7 personnes uniquement, qui ne répond pas aux garanties d’indépendance nécessaires pour l’élection d’une telle commission, laquelle devrait dépendre d’acteurs diversifiés. En outre, sans obligation de la Commission de motiver ses décisions, nous ne sommes pas à l’abri de jeux de pouvoirs à l’interne de la commission.

Ensuite, le tirage au sort n’est pas en soi un modèle démocratique. Tout dépend de sa mise en oeuvre. Ici, encore l’initiative n’est pas pleinement satisfaisante. Aucun nombre minimal de candidat n’est requis pour qu’il soit procédé à ce mode d’élection. Or, pour qu’un tirage au sort ait une pertinence, il faut un bon panel de candidat·es. Il y a ainsi le risque que la commission procède à des élections tacites, en procédant au tirage au sort avec un nombre trop restreint de candidat·es ou, à l’inverse, que les personnes les plus compétentes ne soient pas élues car la commission, pour augmenter la taille du panel, présélectionne des personnes à compétences inégales.

Néanmoins, le gros point noir de cette initiative, apparaît être, selon moi, la nomination des juges à vie (5 ans après l’âge de la retraite pour être exacte, soit 69 ans pour les femmes et 70 ans pour les hommes aujourd’hui). Des juges pourraient ainsi rester plus de 40 ans en fonction, ayant pour conséquence une Haute Cour stagnante face à une société qui évolue, laissant le pouvoir en mains d’une génération qui a fait son temps mais qui décide encore et toujours du lendemain de la génération suivante.

Enfin, le mécanisme de révocation dont serait titulaire l’Assemblée fédéral entre en contradiction avec la volonté des initiant·es d’enlever toute pression politique sur les juges.

Conclusion

D’une part, il est vrai qu’un bon nombre des interrogations soulevées quant la mise en oeuvre de l’initiative pourra être réglé dans la loi d’application. D’autre part, le système actuel manque cruellement de garanties, bien que dans les faits personne ne vienne reprocher un manque effectif d’indépendance aux juges en place. En théorie, presque tout est à revoir ; en pratique, heureusement, le système fonctionne. C’est une garantie néanmoins cruellement insuffisante.

L’intelligence de la démocratie, c’est de se donner des règles contraignantes, des gardes-fous, de par la conscience que l’on peut à tout moment dévier vers d’autres formes de pouvoir.

L’initiative sur la justice paraît toutefois largement insuffisante sur deux points : la nomination des membres de la commission spécialisée par le Conseil fédéral et l’élection des juges à vie.

Il convient de souligne cependant le mérite qu’a l’initiative d’avoir amené la question de l’élection des juges fédéraux dans le débat public, ce qui a contribué à mettre en lumière les lacunes du système. Si elle venait à être rejetée, ce ne serait en aucune manière une raison de remettre ce sujet sous le tapis.

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